25.11.2015.
S’étant dédié à l’analyse de l’économie et des investissements des marchés émergents depuis plus de 20 ans en qualité de professeur et de gestionnaire de portefeuille, Peter Marber a assisté à la transformation considérable qu’a engendré la mondialisation. Dans cet entretien, le directeur des investissements marchés émergents chez Loomis, Sayles & Company nous livre son opinion quant au besoin de changer la classification de ces marchés.
Peter Marber, Directeur des investissements Marchés émergents Loomis, Sayles & Company |
Pour quelle raison appelez-vous à une redéfinition des marchés émergents ?
Cela fait des années que la question de savoir ce qui constitue un marché émergent me préoccupe. Depuis 1989, la Banque mondiale définit un marché émergent comme étant un pays dont le produit intérieur brut (PIB) par habitant est inférieur ou égal à 13 000 dollars US. Cependant, le PIB est simplement une mesure de la «richesse». Un pays dont le PIB par habitant s’élève à 12 999 dollars est très différent d’un autre où ce chiffre est de 1 500 dollars. D’où le besoin d’une nouvelle méthode pluridimensionnelle de classification des marchés émergents, qui devra prendre en compte différents indicateurs permettant d’établir un classement des pays selon leur degré de maturité socio-économique.
Consulter notre classement des fonds d’actions émergents globaux
Pouvez-vous nous expliquer le fondement de votre analyse ?
J’ai commencé par me demander quelles étaient les dimensions qui, hormis le PIB, caractérisent le degré de maturité d’un pays. Existe-t-il des moyens plus objectifs d’analyser et de classifier les différents pays ? Leurs situations ne sont-elles pas plus nuancées que ne le suggèrent des descriptions grossières comme « avancés » et « émergents » ? Mon intuition était que c’était effectivement le cas, mais il me fallait définir un cadre objectif et plus vaste pour répondre à ces questions fondamentales. Ainsi, l’an dernier, j’ai commencé à étudier ces aspects à l’aide de la méthode de Ward, une approche quantitative qui permet d’établir des classifications en fonction de la « variance minimum » de certains facteurs – ce qui revient à regrouper des éléments dont les qualités sont les plus similaires d’un point de vue statistique.
Mon idée était de regrouper une centaine de pays (aussi bien avancés qu’émergents) en dix catégories. Le groupe 10 serait constitué des pays obtenant les scores les plus élevés sur neuf critères spécifiques, dénotant les pays les plus matures susceptibles de mieux résister aux évolutions et aux chocs éventuels. Le groupe 1 serait à l’inverse constitué des pays obtenant les scores les plus faibles, dénotant un moindre degré de maturité et une plus grande vulnérabilité à un ensemble de risques. Les membres de chaque groupe ont été déterminés en attribuant une valeur numérique à chaque pays à l’aune des neuf critères distincts. Ainsi, un pays caractérisé par un PIB par habitant élevé obtiendra un meilleur score dans la catégorie relative à ce critère. Parmi les huit autres catégories, deux concernent la taille de la population et la compétitivité, trois portent sur les notations de crédit, la pénétration boursière et les taux de change, et trois ont trait à la santé, à l’éducation et au climat politique.
Afin d’offrir une perspective sur les changements intervenus durant une décennie majeure en ce qui concerne la mondialisation – les cinq ans antérieurs et postérieurs à la crise de 2008 – nous avons comparé fin 2003 et fin 2013.
Qu’a révélé votre analyse ?
En premier lieu, nous avons été très intéressés de constater que les scores numériques obtenus par cinq pays ne s’accordaient bien avec aucune des dix catégories en raison de spécificités hors normes à au moins un égard. Ces pays étaient les suivants :
- Les États-Unis, en raison de la taille et de la richesse de la population américaine
- La Chine, en raison de son énorme population
- L’Inde, en raison de sa forte population
- Hong Kong, en raison d’un haut niveau de richesse, d’un important développement financier et d’une petite population
- Le Qatar, du fait de la richesse et de la petite taille de sa population
En second lieu, la plupart des pays « émergents » ont progressé dans le classement durant la période analysée tandis que certaines économies « avancées » ont reculé. Les principaux gagnants incluent le Ghana, qui est passé du groupe 1 au groupe 5, tandis que les grands perdants concernent l’Islande, l’Irlande, l’Italie et l’Espagne qui, dans chaque cas, ont régressé du groupe 10 au groupe 8. Les deux grandes surprises sont issues du Moyen Orient, où le Koweït et les Émirats arabes unis ont reculé du groupe 8 au groupe 4.
Il convient également de noter la progression spectaculaire de la Chine qui bénéficie d’une note de crédit équivalente, voire supérieure à la plupart des économies avancées (AA- selon Standard & Poor’s), ainsi que du deuxième plus grand marché boursier du monde et d’une économie qui se classe au second rang derrière les ÉtatsUnis en termes nominaux. Ces caractéristiques – alliées au fait que l’économie chinoise est presque aussi importante que celles du reste des marchés émergents réunis – plaident en faveur du retrait de la Chine du groupe des marchés émergents et militent pour la création d’une catégorie distincte lui étant propre. Les États-Unis sont le seul pays que l’on pourrait un tant soit peu comparer à la Chine.
Globalement, une convergence commence à apparaître au niveau mondial dans laquelle aussi bien les économies mondiales développées que les « marchés émergents » tendent à se rapprocher d’une position intermédiaire.
Lire également : Chine : quelle est l’importance de la croissance du PIB ?
Quelles leçons en tirer pour la suite ?
L’un des enseignements issus de cette étude est qu’il pourrait être intéressant de considérer le développement des pays comme un continuum dans lequel chaque stade en termes de progrès socio-économique n’est pas nécessairement très différent d’un pays à l’autre, bien que les extrêmes soient très éloignés. De fait, dans la mesure où bon nombre de pays « émergents » ont réduit de nombreux écarts socio-économiques, il est désormais difficile d’identifier la frontière entre « émergent » et « avancé ».
En tout état de cause, de nouvelles catégories sont nécessaires au-delà de ces deux classifications.
(cliquez l’image pour agrandir)
Qu’en conclure pour les investisseurs ?
D’une manière générale, les pays dits « émergents » sont désormais plus matures qu’ils ne l’étaient il y a dix ans et trop importants pour être délaissés par les investisseurs. De nos jours, ils contribuent à hauteur de plus de 50% à la production mondiale à parité de pouvoir d’achat ; la plupart d’entre eux bénéficient d’une notation de crédit «investment grade» et de marchés financiers qui connaissent une croissance accélérée.2
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DÉFINITIONS & INFORMATIONS
1 Source : analyse Loomis, Sayles & Company. Méthode de Ward dite de la variance minimum, 1963. 10 = pays les plus prospères à fin 2013 ; 1 = pays les moins prospères à fin 2013.
2 Source : analyse Loomis, Sayles & Company, au 17 août 2015.
Marché émergent désigne un pays dont l’économie progresse vers le statut d’économie avancée, au regard du certain degré de liquidité des marchés locaux de la dette et des actions et de l’existence d’une certaine forme de bourse et d’organisme de réglementation. D’une manière générale, les marchés émergents ne sont pas aussi efficients et n’appliquent pas les mêmes critères rigoureux que les économies avancées (comme les États-Unis, l’Europe et le Japon), mais disposent habituellement d’infrastructures financières physiques telles que des banques, une bourse et une monnaie unifiée.
La mondialisation désigne la tendance des fonds de placement et des entreprises à opérer au-delà de leurs marchés nationaux et à étendre leur activité au niveau mondial, ce qui accroît l’interconnexion entre les différents marchés. La mondialisation a eu pour effet de favoriser considérablement non seulement le commerce international, mais également les échanges culturels.
Notation de crédit « investment-grade » caractérise la qualité de crédit d’une entreprise. Pour être considérée comme un émetteur « investment-grade », l’entreprise considérée doit être notée au minimum BBB par Standard and Poor’s ou Moody’s.
Parité de pouvoir d’achat désigne le taux auquel il faudrait que la monnaie d’un pays soit convertie dans celle d’un autre pays pour pourvoir acheter la même quantité de biens et de services dans un pays comme dans l’autre.
La Banque mondiale est un organisme international dont la mission est de proposer des financements, des conseils et des analyses aux pays en développement afin de favoriser leur croissance économique.
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