lundi 8 février 2016

Putain, dix ans ! Par Thomas Veillet (investir.ch)

Un matin 2005, alors que je lisais un « résumé » de la dernière publication trimestrielle d’Intel – un résumé de 17 pages, écrit en arial 7, sans compter les 12 pages de disclaimer qui disent bien que si jamais on a tort, ce n’est pas de notre faute, mais c’est juste le marché qui n’a rien compris – en arrivant à la fin de la dix-septième page, je me suis rendu compte des choses suivantes :
1) 17 pages c’est long pour décortiquer un simple trimestre.
2) À la fin des 17 pages, je ne savais toujours pas si je devais acheter ou vendre, l’interprétation était laissée à mon libre arbitre.
3) Durant la durée de la lecture, j’ai du plusieurs fois me pincer pour ne pas m’endormir, tellement c’était ennuyant.
4) L’auteur du papier avait l’art de compliquer les choses, supposant que le lecteur avait non-seulement un doctorat en finance, mais en plus qu’il avait des compétences extensives dans le domaine des semi-conducteurs.
À ce moment très exact, je me suis dit qu’il devait y avoir moyen de parler de finance en étant un peu moins ennuyant. J’ai donc commencé à écrire un mini-commentaire boursier que j’envoyais à trois collègues compréhensifs par email. Cet email a commencé a être forwardé à droite à gauche, tant et si bien que la liste de distribution du « morning comment » est rapidement montée à 250 personnes. Jusqu’à que mon employeur de l’époque me demande de cesser d’écrire, étant donné que mon style n’était pas « politiquement correct » et qu’en plus « je n’étais pas un analyste » – En ce temps-là, étant déjà une « forte tête », je décidais donc de prendre le maquis et de me lancer dans le « Blog Anonyme »… Puisqu’on ne me laissait pas m’exprimer en tant que Thomas Veillet, advisor d’une grande banque suisse, il ne me restait plus qu’à inventer un personnage qui habitait New York et qui parlait avec un ton décalé, essayant de vulgariser la finance et de la rendre un peu plus digeste et d’arrêter de faire croire au commun des mortels, que ce métier est hyper-compliqué et pas accessible à tout le monde..
Le 7 février 2006, mon premier blog était publié sous le pseudonyme de « Morningbull ».Bull_04.24.2014_large
Depuis, les choses ont évolué, le Morningbull est devenu Investir.ch, mais depuis le 7 février 2006, je me lève à 4 heures du matin pour écrire ce fameux commentaire, 5 jours par semaine, 52 semaines par années, sauf les vacances. Actuellement, j’ai rédigé plus de 4’500 publications, sans compter le reste dans la presse papier et le pire, c’est que je n’ai aucune envie d’arrêter. C’est ma psychothérapie du matin, le moment qui me permet de faire le point sur les marchés et sur la manière dont le monde de la finance les aborde.
Mais finalement, pourquoi je vous raconte tout ça ?
Eh bien parce que je viens de relire une partie de tout ce que j’ai écrit depuis 10 ans et je me suis rendu compte des choses suivantes :
1) Il fût un temps on pensait que le pétrole allait à 300$, d’ailleurs, très peu de temps après, lorsque le pétrole se cassa la figure – sans jamais aller à 300$ – on avait à peu près les mêmes théories que nous avons en ce moment. C’est assez fascinant de voir que lors de certaines publications de 2008, nous parlions d’objectifs, de certitudes et du pétrole qui était devenu l’indicateur économique de la finance. Que ce dernier était « connecté » avec les indices boursiers. Personne ne parlait de target à 100$, personne ne pensait que ça valait 20$… Et pourtant, entre deux, on est remonté à 100$ et maintenant tout le monde parle de 20$ comme objectif… Rien n’a changé, on en sait toujours aussi peu et on essaye toujours de faire croire aux autres que NOUS ON SAIT VRAIMENT QUELQUE CHOSE
2) J’ai également constaté, durant ces dix ans que j’ai dû utiliser environ 347 fois le terme « on va tous mourir dans d’atroces souffrances » en parlant du marché qui se faisait décimer – on est toujours vivant.
3) Des dizaines de fois durant ces dix ans j’ai pensé avoir vécu la PIRE journée de ma carrière boursière. Aujourd’hui, je sais que la pire journée de ma carrière boursière est devant moi et pas derrière.
4) Je me suis également aperçu que LinkedIn n’a pas à rougir d’avoir perdu 43% vendredi passé. En son temps, il y a une marque de chaussures en plastiques qui vous n’oseriez pas mettre aux pieds pour sortir les poubelles qui avait déjà perdu 44% en une séance. Bon, il est vrai que eux, ils vendaient quelque chose. Quelque chose de moche, mais quand même.
5) En revenant en arrière, je me suis aperçu que la Grèce revient troubler le sommeil des investisseurs à peu près tous les 12 à 18 mois. Ce qui revient à dire que, normalement, cette année, on devrait se refaire une panique grecque. Après tout, c’est vrai, souvenez-vous de cet été 2011 où l’on se faisait balader dans tous les sens parce qu’il y avait des rumeurs de défaut de la dette grecque à peu près toutes les 5 minutes. Eh bien rassurez-vous, la situation n’a pas forcément évolué dans le bon sens et il n’est pas exclu que l’on en reparle, si mes calculs sont bons.
6) Cette introspection m’a également permis de relire des passages de mes commentaires de l’automne 2008. Alors si vous pensez que la volatilité actuelle est faite pour rester et que c’est insupportable, replongez-vous dans cette période et vous verrez que ce que l’on vit actuellement, c’est des vacances. En ce temps-là, le Dow Jones pouvait bouger jusqu’à 6.5% par jour.
faster7) Je me suis rendu compte que ça fait 10 ans que je pense que les boîtes de rating sont des gros nazes qui ne servent à rien. Je persiste et signe. C’est des gros nazes qui ne servent à rien.
8) Sur les 4’500 posts de ces 10 dernières années, il y fait mention à peu près 1345 fois du terme « bull market » et 1346 fois le terme « bear market » aura été utilisé. Statistiquement, c’est comme l’investissement, t’as une chance sur deux que ça monte et une chance sur deux que ça baisse.
9) Le 2 septembre 2008, j’ai publié mon 500ème « Morningbull » et je disais que je ne savais pas si l’on verrait le 1’000 ème, on a donc vu le 4’500ème et des poussières. Je m’extasiais également devant les 700 personnes inscrites à ma liste de distribution, vous êtes 4833 dorénavant.
10) En juin 2008, le coup sûr, c’était le baril qui allait à 150$. Un peu comme le baril qui va à 20$.. Personne n’en doute.
11) Clin d’œil à George Soros qui est actuellement en train de faire le tour des plateau télé pour nous répéter encore et encore que tout est foutu, je viens de tomber sur un blog du 7 avril 2009 qui citait Soros : « George Soros le confirme, ce rallye EST un Bear Market Rallye, l’économie continue de se contracter et il n’a pas l’air de croire que c’est durable. » – nous étions à peine à 1’000 sur le S&P
12) Le même jour, Marc Faber nous prédisait une correction de plus de 10% – la bonne nouvelle, c’est que 7 ans après et 200% plus haut, il l’attend toujours et en est toujours persuadé.
13) Le premier mai 2009, je râlais parce que le S&P500 ne parvenait pas à franchir la résistance des 875 points.
14) Il y a à peine 3 ans, les marchés boursiers paniquaient parce que Chypre avait des problèmes. C’est fou comme on a vite oublié.
15) Tous les trimestre on se concentre sur les chiffres d’Alcoa parce que c’est les premiers à publier et généralement si c’est bon, la saison des publications sera bonne et vice et versa, mais généralement 2 jours après on a déjà oublié la théorie.
16) À la fin de chaque mois de janvier on a peur que la performance du mois soit l’indicateur du reste de l’année, trois semaines après, en rentrant de vacances de skis, on a déjà oublié ce que l’on a fait en janvier.
17) On parle de l’indicateur SuperBowl tous les deuxième lundi de février. On aura oublié le nom du vainqueur autour de mars. D’ailleurs, c’est les Broncos qui ont gagné cette nuit, ce n’est pas une bonne nouvelle pour les Bulls.
18) Statistiquement, depuis dix ans, le marché a une mémoire de plus en plus courte. Une mémoire de poisson rouge globalement, mais depuis quelques années, le poisson en question tourne de plus en plus vite dans le bocal.
19) J’ai réalisé qu’après chaque phase de panique, on enchaîne avec des phases d’euphories parfois bien plus débiles que la phase de panique elle-même.
20) Et puis quelque soit le Banquier Central en charge, il est toujours mauvais et ça sera toujours de sa faute, parce que nous, les experts, on aurait toujours fait mieux.hike
En conclusion, je vais m’arrêter-là, parce que vu le stock d’archives, je pourrais continuer encore une dizaine de pages facilement. Ce que je retiens donc de ces dix ans, c’est que le marché est cyclique et que pratiquement chaque année on retraverse les mêmes périodes que l’année précédente : doute, hésitation, conviction, volatilité, etc.. On reprend les mêmes théories encore et encore et on réinvente la roue comme si « cette fois c’est sûr, on a compris » et puis deux semaines après on se rend compte qu’en fait NON ; on a rien compris. Le marché tourne en rond, reproduit les mêmes erreurs et l’on persiste à croire que la finance est une science alors qu’en fait c’est souvent un gros casino mélangé avec de la psychologie humaine.
Je peux donc d’ors et déjà vous prédire que l’on va se faire secouer dans les années à venir, mais qu’entre deux périodes de « secouage », on sera euphorique parce que nous serons certains que cette fois « on a compris » et puis juste derrière, on se rendra compte qu’en fait, non, on n’a rien compris… Et ensuite ; « same player shoot again ».
Par moment je me dis même que je pourrais republier des billets qui datent de 5 ans en arrière, ils ont l’air parfaitement d’actualité… Vous n’y verriez que du feu.
Tout ça pour vous dire que rien ne change et que même après dix ans, je n’ai pas l’impression que l’on a appris quoi que ce soit des errances du pétrole, de la volatilité de ce dernier, des subprimes, des prédictions à deux balles, de l’usage abusif des produits dérivés, des banques qui vont « changer » (si, si c’est promis), du fait que « greed is good », que les opérations d’initiés c’est mal (sauf quand on est initié soi-même), que quand tout le monde est convaincu de quelque chose, c’est en général l’inverse qui se produit, que les statistiques sont faites pour être interprétées, mais qu’à la fin elles ne veulent rien dire, que quand c’est évident, c’est évidemment faux, que l’on apprend rien et que l’on oublie tout, que l’on est toujours plus intelligent APRÈS, que si j’avais su j’aurais acheté Apple à 5$ (avant split) et qu’aves des « SI » on coupe des arbres…
Je terminerais cette chronique de dix ans en vous disant MERCI.. parce que sans vous, je serais encore en train d’écrire mon commentaire personnel pour moi-même sur mon cahier à spirales, je voudrais aussi dire merci au Monsieur qui m’avait déclaré en face, droit dans les yeux, alors que le Morningbull était encore anonyme : « En fait je peux te le dire, le Morningbull, c’est moi ».
b083fe9fe6d81724f70f01Bref, merci pour toutes ces années. Lors de la 500ème chronique, je me demandais combien de temps cela durerait encore. Là, après 10 ans, je me dis qu’il n’y plus de limite et quand je vois le cirque que sont devenus les marchés financiers, je me dis qu’il va encore y avoir un boulot de fou ces prochaines années.
En ce qui me concerne, je vous souhaite donc une très belle semaine, on se retrouve demain pour parler marchés pour de vrai et autrement, je vous retrouve pour un bilan complet le 7 février 2026.
Happy Birthday to me 😉
Thomas Veillet
Investir.ch
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“Whenever you find yourself on the side of the majority, it is time to pause and reflect.”
-Mark Twain



Serge Poznanski

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