dimanche 17 janvier 2016

Comment la monnaie chinoise s'est imposée à l'international Rédigé par Charles-Edouard Bouée

La décision du FMI d'inclure le Renminbi dans son panier de devises marque l'affirmation de la monnaie chinoise au cœur de la finance mondiale. Et ce n’est pas qu’une mesure symbolique. Des projets tels que la Nouvelle route de la soie illustrent l'ambition chinoise de jouer un plus grand rôle à l'international.
Il ne faut pas sous-estimer l’importance de l’entrée du renminbi dans le système des DTS du FMI. Le renminbi rejoint ainsi le dollar, la livre, le yen et l’euro et fait désormais partie du « club » des devises internationales. Cette décision du FMI consacre les efforts des autorités chinoises visant à conférer à leur devise nationale un statut international plus conforme à la place de la Chine dans l’économie mondiale. Le FMI avait imposé plusieurs prérequis à cette intégration, notamment le fait que le yuan doit être « largement utilisé » dans les transactions internationales et « librement disponible » à l’image des autres devises DTS.
En ce qui concerne le premier point, la Chine a rempli les conditions requises. Entre 2012 et 2014, le renminbi est passé de la 13ème à la 5ème place des devises les plus utilisées dans le monde. Pour le second point, la Chine maintient son contrôle sur les capitaux mais le FMI espère, avec cette décision, forcer la main du pays à moyen terme pour qu’il laisse sa monnaie s’apprécier sous la pression des marchés. Il s’agit donc ici plutôt d’intégrer la devise au système international et de pousser la Chine sur le chemin de la réforme de son système financier.
Entre 2012 et 2014, le renminbi est passé de la 13ème à la 5ème place des devises les plus utilisées dans le monde.
Mais plus qu’un symbole, il faut y voir une récompense pour les efforts chinois. Le développement du renminbi sur les marchés internationaux vient s’intégrer à une stratégie plus large et à plus long terme : réduire la dépendance au dollar et, un jour, parvenir à créer une « zone renminbi » à l’image de la zone dollar. 
La "Nouvelle route de la soie" booste le Renminbi https://media.licdn.com/mpr/mpr/shrinknp_800_800/AAEAAQAAAAAAAATqAAAAJDhhYTJmMWVmLWIxZGItNDM1NS1hNDE5LTVjN2FhMzY4NTUyMw.png
Le grand projet de Xi Jinping, « One Belt, One Road » (OBOR) est le nouveau terrain de jeu de la Chine, dans lequel elle entend construire des projets et exporter ses savoir-faire. OBOR consiste à recréer une nouvelle route de la soie entre la Chine et l’Asie centrale, mais aussi l’Europe, l’Afrique et l’Amérique latine, en multipliant notamment les investissements dans le domaine des infrastructures de transports et énergétiques. Cela sera également un puissant vecteur de développement du renminbi, en faisant de lui le véhicule financier permettant aux grandes entreprises chinoises (le plus souvent publiques) de lever des capitaux sur les grands marchés financiers mondiaux. La China Development Bank (CDB) vient d’indiquer que près de 900 projets OBOR étaient en cours ou prévus, pour un montant total de 890 milliards de dollars, dont le financement sera assuré majoritairement par les grandes institutions financières chinoises comme la CDB, la China Ex-Im Bank, la nouvelle Asia Infrastructure Investment Bank (AIIB) et le fond souverain Silk Road. Et l’on constate déjà les effets de « One Belt, One Road » : au cours des dix premiers mois de 2015, les investissements chinois à l’étranger ont bondi de plus de 16 % par rapport à la même période de 2014, pour atteindre 92,5 milliards de dollars, dont près de 14 milliards au titre de cette nouvelle route de la soie.
Le marché obligataire chinois deviendra-t-il une alternative attractive pour les investisseurs étrangers ? 
L’objectif des autorités chinoises est de profiter des abondantes liquidités et des taux d’intérêt attractifs sur les marchés américains et européens. De ce point de vue, on ne peut que souligner les efforts de la City pour devenir le centre européen de l’internationalisation du renminbi. Deux grandes banques publiques chinoises viennent d’y réaliser des émissions obligataires, partiellement en renminbi, qui ont été sursouscrites par les investisseurs en raison de la qualité de la signature des émetteurs et du taux offert (4,2 %) alors que la dette souveraine allemande ou française propose des rémunérations bien inférieures.
La Banque centrale de Chine a également commencé à émettre à Londres des obligations d’Etat à un an, au taux de 3,1 % (contre 2,4 % en Chine), et la première tranche de 5 milliards de renminbis (l’équivalent de 737 millions d’euros) a attiré des ordres d’un total de 30 milliards de renminbis (environ 4 milliards d’euros), ce qui en dit long sur l’attractivité de la dette chinoise aux yeux des investisseurs internationaux.
 L’objectif des autorités chinoises est de profiter des abondantes liquidités et des taux d’intérêt attractifs sur les marchés américains et européens.
Malgré tout, abstenons-nous de réagir de façon excessive à ces chiffres impressionnants : la part du renminbi dans le commerce mondial reste modeste puisqu’il n’en représente que 3 % du total. Et bien plus encore, les interventions politiques de l’été dernier destinées à mettre un terme au crash boursier ont atteint leurs objectifs mais au prix d’une grande défiance des investisseurs internationaux, jamais très friands du moindre interventionnisme. Ainsi, même si S&P attribue la note AA à la Chine, il est très probable que les investisseurs privés vont suivre attentivement les progrès concernant l’ouverture des marchés de capitaux avant d’augmenter leur exposition au renminbi.

Dans l’ensemble, il ne semble pas que la Chine soit prête à complètement « laisser les rennes au marché ». Les prochains mois seront donc cruciaux pour mesurer les conséquences réelles du passage du renminbi au statut de monnaie de réserve. Entre‑temps, la Chine peut savourer cette victoire qui n’est pas que symbolique : le renminbi, littéralement « la monnaie du peuple », est la première devise émergente à intégrer le système du FMI. Le système monétaire international est entré dans une nouvelle ère.

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