mardi 20 octobre 2015

Vue Macro : Le pouvoir de la liquidité

* Rentrée de capitaux dans les pays émergents en Octobre : un tournant pour les économies émergentes?
* Baisse de 10 % du cours des devises émergentes : en ligne avec les 3 corrections depuis 2011
* Faible liquidité de marché et liquidité abondante des banques centrales : un environnement difficile à naviguer

La liquidité constitue un paradoxe. La liquidité apportée par les banques centrales restera abondante au cours des prochains trimestres, accroissant la volatilité des flux de capitaux mondiaux. En parallèle, la liquidité de marché – i.e. la capacité d’acheter ou de vendre rapidement un volume important de titres à faible coût et avec un impact limité sur les prix – s’est asséchée progressivement aux cours des dernières années. Plus important encore, la liquidité de marché peut chuter brutalement ou au contraire subitement s’améliorer comme ce fut le cas au moment de la faillite de Lehman Brothers et ensuite avec les programmes d’assouplissement monétaire entrepris par les banques centrales (QE/LTRO). Comme nous avons pu le remarquer lors de la crise 2008-2009 ou lors de la crise des dettes souveraines en Zone euro, la liquidité est un facteur prépondérant de la croissance économique.

La liquidité est aussi un mystère. Depuis juillet, les pays émergents subissaient des sorties importantes de capitaux mais cette tendance s’est soudainement inversée depuis le début du mois d’Octobre. Les raisons de cette inversion peuvent sembler subtiles : un léger regain de confiance, un certain optimisme sur la séquence de politique économique ou simplement la reconnaissance du fait que la dépréciation des devises émergentes est en fin de compte un élément positif pour beaucoup de pays asiatiques possédant une position extérieure nette positive. Cependant, ces petits éléments changent la donne. En tant qu’européens, nous savons pertinemment que des marchés de capitaux fermés ou ouverts mènent à deux mondes économiques diamétralement opposés.

Dans un tel contexte, il me semble que suivre les flux et le fonctionnement des marchés de capitaux en période de stress est crucial pour tout économiste. Dans notre dernier rapport (voir ECONOMICS RESEARCH: The contrarian case for EM – Q&A), nous n’essayons pas d’être intelligents, mais nous constatons simplement les faits : les flux de capitaux dans les pays émergents se sont stabilisés depuis 4 semaines et nous voyons même un afflux de capitaux vers ces pays ce mois-ci (voir le graphique à la fin). Il est surement trop tôt pour parler d’une tendance pour les prochains mois. Mais comme les sorties de capitaux, les entrées de capitaux peuvent s’auto-renforcer (i.e. une appréciation de la devise améliore les conditions financières ce qui in fine conduit à davantage d’entrées de capitaux).

Il peut être intéressant de remarquer que la correction de 10 % du marché des devises émergentes cette année est en ligne avec l’amplitude moyenne des 3 précédentes corrections depuis 2011. L’ajustement structurel des pays émergents qui a débuté en 2011 est loin d’être terminé et les risques de crises de croissance ou de crises financières resteront élevés pour les pays émergents dans les prochaines années. Cependant, la dépréciation des devises émergentes qui constitue la première étape de cet ajustement structurel est désormais significative. En excluant la Chine, le taux de change effectif réel moyen des pays émergents est environ 10 % au-dessus de son plus bas niveau des 20 dernières années.

Sur le court terme, la baisse des craintes vis-à-vis des marchés émergents a déjà eu un fort impact sur les prix du pétrole, sur la perception du risque de déflation, sur le marché du crédit et même pour la Fed. J’ai rencontré beaucoup d’investisseurs au cours des derniers mois et leurs perceptions de la politique menée par la Fed est en train de changer. Il y a 4 mois, toute action de la Fed était considérée comme négative : une hausse du taux directeur aurait constitué une erreur de politique monétaire tandis que l’inaction a amplifié les incertitudes sur l’économie américaine. Aujourd’hui, je pense que de nombreux investisseurs souhaiteraient un relèvement des taux de la Fed : cette action serait cohérente avec une économie US et une économie mondiale résilientes. Cela dit, beaucoup d’investisseurs considèrent que le retardement de la hausse des taux donne  aussi plus de temps aux marchés émergents pour se stabiliser. La perception de la Fed pourrait avoir changé du tout est mauvais au tout est bon à prendre.

Il y a tout de même une chose que la liquidité apportée par les banques centrales ne pourra pas modifier et va même renforcer : l’incapacité des taux longs à augmenter. Même si la Fed décide de relever ses taux, l’excès d’épargne mondiale et la liquidité abondante fournie par les banques centrales vont maintenir un plafond sur les taux à 10 ans sur les deux prochaines années. Nous maintenons notre fourchette de 2-2.5 % pour les taux américains  à 10 ans (cf ECONOMICS RESEARCH: Low long-term U.S. yields are here to stay).

Au final la liquidité est-elle si puissante? Oui mais c’est aussi un danger. Il est extrêmement difficile de décrypter l’environnement économique actuel. Les marchés financiers ont tendance à réagir excessivement lorsque la liquidité des marchés est faible et que dans le même temps la liquidité apportée par les banques centrales est abondante. Ce point a été clairement mis en évidence sur le marché obligataire de la zone euro qui a sur-réagi à la saisonnalité des émissions de dette obligataire cette année. La liquidité n’est pas un miracle non plus : l’économie mondiale est incapable d’absorber toute la liquidité offerte par les banques centrales. En d’autres termes, la vitesse de circulation de la monnaie restera faible pendant encore plusieurs années. L’abondance de liquidité permet de gagner du temps pour mettre en place certains ajustements. Mais finalement, sur le très long terme, l’excès de liquidité conduit toujours à une hausse de l’inflation : il faudra bien à un moment « taxer » pour rembourser notre endettement excessif.

Graphique clé : flux de capitaux rentrants pour les émergents depuis le début du mois d’octobre
Cumulative daily portfolio flows to EM countries during major reversals (USDbn)
 image001
* Countries: Indonesia, India, Korea, Thailand, South Africa, Brazil, Hungary
Source: IIF
Most recent Exane Economics research
GLOBAL: The contrarian case for EM – Q&A (Download)
UNITED STATES: Low long-term U.S. yields are here to stay (Download)
FRANCE: Resilient for now (Download)
EUROPE: Keeping the faith in Europe (Download)
CHINA: What is the ‘real’ GDP growth? (Download)
GLOBAL: The music hasn’t stopped (Download)
____________________________
Pierre-Olivier BEFFY 

Chef Économiste – EXANE – BNP Paribas
* Faible liquidité de marché et liquidité abondante des banques centrales : un environnement difficile à naviguer

La liquidité constitue un paradoxe. La liquidité apportée par les banques centrales restera abondante au cours des prochains trimestres, accroissant la volatilité des flux de capitaux mondiaux. En parallèle, la liquidité de marché – i.e. la capacité d’acheter ou de vendre rapidement un volume important de titres à faible coût et avec un impact limité sur les prix – s’est asséchée progressivement aux cours des dernières années. Plus important encore, la liquidité de marché peut chuter brutalement ou au contraire subitement s’améliorer comme ce fut le cas au moment de la faillite de Lehman Brothers et ensuite avec les programmes d’assouplissement monétaire entrepris par les banques centrales (QE/LTRO). Comme nous avons pu le remarquer lors de la crise 2008-2009 ou lors de la crise des dettes souveraines en Zone euro, la liquidité est un facteur prépondérant de la croissance économique.

La liquidité est aussi un mystère. Depuis juillet, les pays émergents subissaient des sorties importantes de capitaux mais cette tendance s’est soudainement inversée depuis le début du mois d’Octobre. Les raisons de cette inversion peuvent sembler subtiles : un léger regain de confiance, un certain optimisme sur la séquence de politique économique ou simplement la reconnaissance du fait que la dépréciation des devises émergentes est en fin de compte un élément positif pour beaucoup de pays asiatiques possédant une position extérieure nette positive. Cependant, ces petits éléments changent la donne. En tant qu’européens, nous savons pertinemment que des marchés de capitaux fermés ou ouverts mènent à deux mondes économiques diamétralement opposés.

Dans un tel contexte, il me semble que suivre les flux et le fonctionnement des marchés de capitaux en période de stress est crucial pour tout économiste. Dans notre dernier rapport (voir ECONOMICS RESEARCH: The contrarian case for EM – Q&A), nous n’essayons pas d’être intelligents, mais nous constatons simplement les faits : les flux de capitaux dans les pays émergents se sont stabilisés depuis 4 semaines et nous voyons même un afflux de capitaux vers ces pays ce mois-ci (voir le graphique à la fin). Il est surement trop tôt pour parler d’une tendance pour les prochains mois. Mais comme les sorties de capitaux, les entrées de capitaux peuvent s’auto-renforcer (i.e. une appréciation de la devise améliore les conditions financières ce qui in fine conduit à davantage d’entrées de capitaux).

Il peut être intéressant de remarquer que la correction de 10 % du marché des devises émergentes cette année est en ligne avec l’amplitude moyenne des 3 précédentes corrections depuis 2011. L’ajustement structurel des pays émergents qui a débuté en 2011 est loin d’être terminé et les risques de crises de croissance ou de crises financières resteront élevés pour les pays émergents dans les prochaines années. Cependant, la dépréciation des devises émergentes qui constitue la première étape de cet ajustement structurel est désormais significative. En excluant la Chine, le taux de change effectif réel moyen des pays émergents est environ 10 % au-dessus de son plus bas niveau des 20 dernières années.

Sur le court terme, la baisse des craintes vis-à-vis des marchés émergents a déjà eu un fort impact sur les prix du pétrole, sur la perception du risque de déflation, sur le marché du crédit et même pour la Fed. J’ai rencontré beaucoup d’investisseurs au cours des derniers mois et leurs perceptions de la politique menée par la Fed est en train de changer. Il y a 4 mois, toute action de la Fed était considérée comme négative : une hausse du taux directeur aurait constitué une erreur de politique monétaire tandis que l’inaction a amplifié les incertitudes sur l’économie américaine. Aujourd’hui, je pense que de nombreux investisseurs souhaiteraient un relèvement des taux de la Fed : cette action serait cohérente avec une économie US et une économie mondiale résilientes. Cela dit, beaucoup d’investisseurs considèrent que le retardement de la hausse des taux donne  aussi plus de temps aux marchés émergents pour se stabiliser. La perception de la Fed pourrait avoir changé du tout est mauvais au tout est bon à prendre.

Il y a tout de même une chose que la liquidité apportée par les banques centrales ne pourra pas modifier et va même renforcer : l’incapacité des taux longs à augmenter. Même si la Fed décide de relever ses taux, l’excès d’épargne mondiale et la liquidité abondante fournie par les banques centrales vont maintenir un plafond sur les taux à 10 ans sur les deux prochaines années. Nous maintenons notre fourchette de 2-2.5 % pour les taux américains  à 10 ans (cf ECONOMICS RESEARCH: Low long-term U.S. yields are here to stay).

Au final la liquidité est-elle si puissante? Oui mais c’est aussi un danger. Il est extrêmement difficile de décrypter l’environnement économique actuel. Les marchés financiers ont tendance à réagir excessivement lorsque la liquidité des marchés est faible et que dans le même temps la liquidité apportée par les banques centrales est abondante. Ce point a été clairement mis en évidence sur le marché obligataire de la zone euro qui a sur-réagi à la saisonnalité des émissions de dette obligataire cette année. La liquidité n’est pas un miracle non plus : l’économie mondiale est incapable d’absorber toute la liquidité offerte par les banques centrales. En d’autres termes, la vitesse de circulation de la monnaie restera faible pendant encore plusieurs années. L’abondance de liquidité permet de gagner du temps pour mettre en place certains ajustements. Mais finalement, sur le très long terme, l’excès de liquidité conduit toujours à une hausse de l’inflation : il faudra bien à un moment « taxer » pour rembourser notre endettement excessif.

Graphique clé : flux de capitaux rentrants pour les émergents depuis le début du mois d’octobre
Cumulative daily portfolio flows to EM countries during major reversals (USDbn)
 image001
* Countries: Indonesia, India, Korea, Thailand, South Africa, Brazil, Hungary
Source: IIF
Most recent Exane Economics research
GLOBAL: The contrarian case for EM – Q&A (Download)
UNITED STATES: Low long-term U.S. yields are here to stay (Download)
FRANCE: Resilient for now (Download)
EUROPE: Keeping the faith in Europe (Download)
CHINA: What is the ‘real’ GDP growth? (Download)
GLOBAL: The music hasn’t stopped (Download)
____________________________
Pierre-Olivier BEFFY 

Chef Économiste – EXANE – BNP Paribas

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire